Histoire parallèle

Yaëlle et y a moi – Partie 1

Extrait du journal intime de Yaëlle – Novembre 1992

Je suis enfant naturelle, une enfant illégitime. Je suis bâtarde, comme la petite chienne, je ne suis pas pure race !

Je me sens bancale, je manque de repère. Je suis née de père inconnu et connu de tous. Je dois grandir avec cette ambivalence du père inconnu, “connu comme le loup blanc”. Il est mon père, et ce n’est un secret pour personne. Ni même pour les instituteurs de l’école primaire, qui me demandaient de remplir ma fiche de renseignements en début d’année scolaire. Nom du père : INCONNU !

Je ne comprenais pas de devoir faire un trait à la place de son nom, je n’assumais pas être sa fille non plus. Je ne m’assumais pas car j’étais différente. J’aurais voulu être normale, comme les autres et inscrire un nom et un prénom qui ne me fasse pas honte, à la place de ce trait que je couchais en travers de la feuille. 

Dans ma famille, on ne savait pas trop expliquer les choses. On se parlait mais on n’expliquait pas. Face à mes questionnements, on me répondait que c’était comme ça. Ma mère disait : “C’est comme ça, tu ne dois pas écrire son nom car il ne t’a pas reconnu.”

Ce père inconnu, absent et pourtant toujours trop présent. Trop présent dans ma petite enfance, quand il venait me voler ma mère avec qui j’entretenais une relation très fusionnelle. Trop présent, quand il parlait haut et fort. Trop présent avec ses propos gênant, trop présent quand bien même il était absent, physiquement. Trop présent, quand au collège, les parents de copines s’arrangeaient pour que leur fille cesse de me fréquenter. Je n’étais plus invitée car j’étais sa fille. Ce n’était pas dit, c’était hypocrite, mais c’était ainsi. 

A la fin du collège, Je n’avais plus de contact avec lui, il était devenu clairement absent de ma vie mais j’étais prisonnière du lien paternel. On me faisait payer sa vie de débauche, ses aventures libertines, sa liberté sexuelle. Le fait qu’il ait couché avec la femme d’untel ou de tel autre. 

Je ne comprenais pas ce rejet, je crois que je ne le comprends toujours pas. Quand on essaie de rentrer dans le moule mais que définitivement ça ne passe pas, ça rend triste et en colère. Je commençais à regarder les adultes de travers. Je les trouvais faux, malsains, étriqués et stupides. 

Ce n’était pas juste qu’on me jette en pâture à cause d’une filiation. Cette même filiation qu’il fallait nier sur les papiers officiels. Cette filiation qu’il fallait aimer quand on tentait de ressembler à une famille. Cette filiation que je haïssais !

A cette époque je ne trouvais que des défauts à mon géniteur. Néanmoins, je dois reconnaître qu’il ne cherchait à duper personne, son comportement était sans équivoque. Je ne sais pas s’il promettait monts et merveilles aux niaises et crédules qui le convoitaient, mais sur son front, il était inscrit en gros rouge indélébile : “Gros queutard en puissance – pas de mariage, pas d’enfant.”

Ma mère est réellement libérée de son emprise depuis 4 ans environ. Depuis 3 ans, on vit dans une chouette maison qu’elle a fait construire seule. Elle en est très fière. C’est une vraie réussite pour elle, comme un accomplissement. Elle réussit là où ses parents disent avoir échoué : Être propriétaire. La maison est jolie, de taille moyenne, moderne. Elle est lumineuse et fait son petit effet. Je m’y sens bien, on y est bien toutes les deux. 

Avec ma mère, on est très complices. Je lui raconte beaucoup de choses, presque tout. Elle est présente, aimante, bienveillante. 

Elle est du genre à se taire, discrète, elle ne fait pas de vague. Elle est de celles qui se soumettent, qui subissent. Elle a subi les tromperies, les humiliations de mon père. Elle souffrait, se mettait en colère, lui pleurait sa rage et sa tristesse mais elle pardonnait toujours, en vain. Elle ne s’est jamais dit qu’elle valait mieux, non, elle pensait que c’était quand même mieux ainsi que sans lui. Elle rêvait que j’apprenne à l’aimer. Elle rêvait d’une famille, de mariage. Elle se berçait d’illusion et vivait dans le déni le plus total. Elle aurait voulu que je saute dans les bras de mon père. Je m’efforçais, j’essayais d’y croire aussi, pour lui faire plaisir. Je riais parce que je m’y obligeais. 

On faisait semblant, on se dupait, on simulait. 

Et puis un jour, il est parti pour de bon, sans au revoir, sans explication. Il est parti petit à petit, emmenant un sac de linge, puis 2 et puis le vide.

Il est parti avec Marie, la meilleure amie de ma mère, celle à qui elle confiait ses peines de cœur et ses « incartades » à lui. Celle qui savait mieux que quiconque qui il était. 

Ma mère s’est retrouvée seule avec son désespoir et ses médicaments. Elle s’est shootée pour dormir 2 semaines durant… J’avais 12 ans, à peine.

Si l’histoire avec Marie n’avait pas tenue, s’il avait tenté de revenir avec ma mère, elle l’aurait accepté. Je le sais parce qu’un jour d’été, je lui ai demandé : “S’il revenait, tu ferais quoi ?” son trop long silence et son regard fuyant m’ont mise en colère. Les trémolos dans la voix, je lui ai dit que s’il revenait, c’était moi qui partirais !

Alors, il n’est jamais revenu. 

Maintenant, c’est cool ! Elle s’en fiche de lui. Elle se trouve heureuse ainsi, sans mec à la maison. Elle dit qu’elle n’en veut pas, qu’elle est bien toute seule, qu’on est bien comme ça.

Elle galère les fins de mois. Je la vois faire ses comptes sur des bouts de papiers. Elle calcule, recalcule, anticipe, le budget bouffe, le prêt immobilier… Sa paye d’aide-soignante est à peine virée sur son compte que les charges la mettent déjà à découvert. L’autre jour, elle a pesté de ne pas pouvoir s’offrir un malheureux parfum pour ses 40 printemps !

Et puis, d’un revers de la main, elle a dit qu’elle ferait un prêt revolving, un tout petit. De quoi faire réparer la voiture et renflouer le découvert qu’elle ne parvient plus à combler.

2 commentaire

  1. Seb

    C’est donc parti mon kiki !!! Y a elle et y a toi… Et tout ça fait un bien joli tout (#)

  2. Florence

    Je débute enfin la lecture de la vie de Yaëlle. Douce Nono, vous écrivez tellement bien que j ai le sentiment de voir Yaëlle, à travers une petite lucarne 💚

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