Histoire parallèle

Yaëlle et y a moi – Partie 14 et FIN !

Maison d’arrêt Nazareth

Les deux jours d’audience se sont prolongés au-delà du week-end de Pâques. Il aura fallu patienter trois jours durant lesquels Yaëlle est restée derrière les murs, avec Sandrine, les deux autres détenues et les gardiennes pour que l’audience aille jusqu’à son terme le mardi 1er avril. 

Durant ces trois jours d’attente, dans cette cellule de 12m2, Yaëlle a fait plus ample connaissance avec Sandrine

Sandrine était douce. 

Sa douceur était partout, dans sa voix, dans ses gestes, dans ses regards, dans ses mots. 

Sandrine était normale. C’est ce qui a frappé Yaëlle au premier regard, le fait que Sandrine était une fille dans la norme. Norme physique, tout d’abord. Sans style particulier, sans piercing, tatouage, signe distinctif, sans coupe de cheveux revolutionnaire. Elle était grande, fine, portait des cheveux longs, châtains. Son visage, comme le reste, était doux. 

A force d’échanges plus passionnés les uns que les autres, à traiter de sujets philosophiques à la hauteur de leur courte et déjà si singulières vies, la normalité douce de cette jeune femme apparaissait encore plus saisissante. 

Sandrine était tombée pour stupéfiants. Elle avait transporté de la drogue dans sa voiture, d’un point A à un point B et s’était faite arrêtée. Elle pleurait en racontant son histoire qui l’avait amenée là depuis 6 semaines. Elle pleurait sa culpabilité, sa solitude, ses regrets. Yaëlle écoutait émue, attentive, présente. 

Ces deux-là se sont écoutées, entendues, enveloppées de leurs mots, leurs regards. La bienveillance régnait si fortement dans ces 12m2 de lieu clos. Trois jours de confidences qui laisseront à tout jamais une trace dans les cœurs de l’une et de l’autre.  

La prison pour femmes de Vannes était une toute petite unité. Elle ne comptait que quatre cellules. Yaëlle et Sandrine occupaient la numéro 1. A côté, dans la numéro 2, il y avait Luljeta, surnommée “Loulou”. Dans la numéro 3, Sylvie et dans la 4, il n’y avait personne. Yaëlle et Sandrine étaient ravies de partager la même cellule. Les responsables de la prison avaient probablement trouvé une similitude dans leurs histoires. Deux jeunes femmes de 19 et 20 ans, incarcérées pour avoir suivi, trop aimé et s’être trop mal aimées. Deux histoires qui ont basculé au-delà de la limite, au-delà du raisonnable. Deux jeunes femmes paumées qui ne mesuraient pas à quel point il serait si aisé de se retrouver incarcérées. 

Des deux autres détenues, Yaëlle ne connaissait rien. Sandrine lui avait dit que Loulou était albanaise, que c’était la plus ancienne détenue de Nazareth. Il n’était pas coutume de demander pour quel motif on était là ? Quelle peine ? Quel crime ? Juste des bruits, des rumeurs se chuchotaient au creux des cellules et des couloirs. De Sylvie, il se disait qu’elle était folle. 

Durant son pèlerinage à Nazareth, Yaëlle a rarement échangé avec Loulou et Sylvie. Elles étaient différentes, elles laissaient entrevoir trop de souffrance, trop de violence. Sylvie toisait Yaëlle qu’elle considérait comme une fille de riche. Une fille privilégiée qui ne verrait pas son monde changé à l’issue d’une petite semaine incarcérée. Elle en disait autant de Sandrine. Une petite chanson en sourdine, une lutte de classe jusque dans les murs de cette prison. Sylvie ne venait jamais aux activités proposées. Elle venait seulement voir le père Henri. Yaëlle aussi l’a rencontré, ce curé. Il était venu le mercredi de son arrivée, puis le dimanche de Pâques. Son discours n’était pas ponctué de bondieuseries. Il parlait de pardon, de l’importance de s’aimer, de se pardonner d’être là. Il apportait un message d’amour, sans jugement. Yaëlle se laissait bercer par les paroles bienveillantes et pleines d’empathie de cet homme. 

Loulou communiquait un peu plus, dans un français laborieux. Elle participait aux activités et notamment à l’atelier dessin. Elle avait du talent. Elle croquait une scène, une fleur, un animal, un portrait. Elle dessinait en parlant peu, datait son esquisse, l’accrochait sur le mur de la salle et repartait dans sa cellule. C’est ainsi qu’elle avait dessiné le portrait de Yaëlle. Un croquis au fusain qui a orné un temps le mur de cette salle austère. 

Les quelques autres sorties hors des 12m2, se passaient dehors, dans la cour. Elles marchaient pour se dégourdir les jambes dans un cloître surmonté de grillages et de barbelés. 

Étonnamment, Yaëlle a aimé cette semaine et particulièrement ces trois jours de week-end de pâques. Elle a aimé la bienveillance des gardiennes. Elle a aimé partager son espace avec Sandrine. Elle a aimé le Père Henri. Elle a ressenti une gratitude infinie pour toutes ces personnes. Son expérience carcérale ne fut pas douloureuse. Ses cigarettes, son lexomil étaient autant de béquilles pour supporter le bruit des verrous. Ceux du soir surtout. C’est la seule expérience auditive désagréable qui lui occasionne encore un pincement dans la poitrine. Les verrous qui claquent, les bruits des clés dans les énormes trousseaux, l’ouverture de l’œilleton. Rien. Rien qui ne pèse. Un pincement désagréable lié au souvenir du corps qui lui dit “ce fut, ce n’est plus. Tout ceci a existé, c’est passé”. Rien en comparaison de tous ces moments où elle s’est sentie portée par ceux qui font du milieu carcéral un endroit pas si redoutable. L’esprit sélectionne les souvenirs. Ceux de Yaëlle sont embrumés, morcelés. Elle a cherché maintes fois à se remémorer les lieux, les visages, les discussions. La mémoire auditive restera la plus précise. Et les derniers mots, la dernière image. Le mardi 1er avril, au terme des 3 jours d’assise. Au terme d’une semaine à dormir là, entourée de murs si haut, de fils de fers épineux si menaçants. Elle reviendra dans la cellule prendre ses affaires, faire ses adieux aux lieux, aux gardiennes, à Sandrine. Elle traversera les couloirs, passant plusieurs portes la reconduisant vers la liberté. Bruit des clés. Bruit d’acier. Dernières portes en fer. Puis, elle empruntera le cloître dans lequel elle se promenait avec Sandrine sous le soleil de pâques. Le sac à la main, une gardienne à ses côtés. Et dans son dos, Sandrine, Loulou et Sylvie scandant des “YAËLLLLLLE, ne te retourne paaaaas !!!!!”. Même Sylvie, oui ! C’était trop tard. Il fallait qu’elle les voit, toutes petites derrière leurs fenêtres grillagées. Agitant leurs mains derrière le barbelé. Elle a pleuré de quitter Sandrine, de la laisser là, sans amie. Elle pleure encore, si elle y pense trop fort. La superstition des détenus dit qu’il ne faut pas se retourner pour ne pas y revenir. Yaëlle savait trop bien qu’elle n’y reviendrait pas. Aucun risque. Les larmes roulant sur ses joues, ses bras agités, levés au ciel… Il est de ces adieux qui serrent le cœur à tout jamais. Elle lui devait bien ça, à Sandrine. Ce retournement vers elle, ce dernier regard, cette dernière attention, même inondés de tristesse et de regret.  

4 commentaire

  1. Florence

    Houahhh, un Grand Merciiii du fond du Cœur pour tous ces beaux écrits. Vous êtes une superbe et sacrée femme. J espère que vous nous partagerez d’autres écrits 🤗🤗

    1. nolwen

      Quelle histoire que la nôtre. On ne parviendra jamais à faire valser le « VOUS » et faire advenir le « TU ». Le « TU » s’échappe souvent pourtant, quand l’échange est si intense mais il sonne comme une anomalie. On reste fidèle je crois à ce vouvoiement parce qu’il évoque le début de notre histoire. La rencontre douloureuse. Une forme de fidélité aux racines, de respect, d’admiration même. Vous êtes essentielle à mon existence. Merci pour tout ♥

  2. Bertrand

    Wahou ! Quelle claque ! Elles ne sont pas toutes bonnes à prendre, mais celle-là elle fait plaisir.
    J’avais du retard dans la lecture du blog. Et d’un coup, j’ai lu les 14 parties de « Yaëlle et y a moi ». Je trouve que « y a » moyen de faire un film de « Yaëlle et y a moi ». On pourrait même s’amuser à trouver des acteurs/actrices pour les différents personnages : pour Yaëlle, je verrai bien Lyna Khoudri.
    Sinon, j’ai même appris un mot : logorrhéique. Je vais le proposer à Sutom, on verra s’il tombe un jour 🙂
    Enfin, un grand BRAVO Nolwen pour ton écriture et ton style. T’as un petit truc en plus 😉 C’est indéniable.

  3. Jalel

    Les mots sont durs à trouvés tant les larmes coulent sur mes joues.

    Il est extrêmement rare que je sois touché par des écrits… Ce qui est étonnant vu comme j’aime les belles tournures de phrases, je pleure très très souvent devant des films, des séries et pourtant jamais un livre ou une nouvelle n’a pu extirper la tristesse sous cette forme de mon corps.
    Tu as dérogé à cette règle Yaëlle.

    Je ne sais que dire si ce n’est, de par des mots que j’utilise quotidiennement, une PUTAIN DE MASTERCLASS.

    Que de l’amour! 💜

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