
D’où viennent les larmes ? Ce flot lacrymal intarissable ? Elles inondent mes joues et dessinent de petites rivières… elles ne cessent donc pas ? Tant que le cœur hoquette, tant que les sanglots m’étreignent ?
Je suis là depuis des heures et je pleure, je pleure, je pleure…
Tu pleures sur toi, me dis-tu, de ta petite voix sournoise. Tu pleures un sein, mais qu’est ce que ça ?
Oui, je pleure un sein disparu, un sein qui n’est plus. Je ne voulais pas ça, je redoutais ça. Je connaissais cette éventualité. Tu t’es d’ailleurs chargée de mettre sur mon chemin des femmes qui ont vécu cette épreuve, souvent. Je me disais que tu me préparais au pire, aux tristes éventualités. Mais je refusais que cela m’arrive. Je me pensais plus maligne. Je me disais que j’aurais l’expertise, que je verrais les choses venir et que ça n’irait pas jusque là. Je ne voulais pas vivre cette étape. Souffrir, oui. Trouver ça laid, oui. Trouver ça long, oui. Être fatiguée,oui. Repasser au bloc, oui. Me trouver moche, oui. Me trouver vieille, oui. Tout ça, je le savais. Tout ça, je m’y étais préparée. Depuis des mois. J’étais prête et j’y allais confiante, déterminée. J’étais prête à en découdre la Vie. Je te faisais face fièrement et te toisais presque.
Le mamelon sur la côte, je t’avais dit non. Tu te souviens ? Je t’avais dit, NON !
Mais j’avais oublié… ce n’est pas moi qui décide ! C’est une belle leçon d’humilité que tu m’envoies là. On oublie trop souvent que c’est toi qui a les cartes en mains.
Tu te souviens du nombre de fois où je t’ai traité de garce. Toutes ces fois où je t’ai vu mettre entre les mains de ta copine la Mort, des âmes tendres. Toutes ces fois où je t’ai regardée faire endurer des souffrances et ricaner avec la Mort. Si j’étais une de mes patientes, je te dirais « connasse » ! Pourquoi tu lui fais ça ? A quelques jours de Noël ? Après toutes les biopsies, les blocs, les anesthésies ? Elle a été courageuse, je crois. Pourquoi ne pas en rester là ?
Alors je vais te faire une confidence qui me fait un peu mal au cul, j’admets. J’ai envie de te dire Merci ! Je crois que tu viens de me donner une leçon de taille. Tu sais que j’aime bien l’idée que notre passage sur terre doit avoir du sens, qu’il doit nous faire grandir, qu’il doit nous apprendre. (Oui, avec le temps, les rencontres, les lectures, je suis devenue philosophe.) Et bien j’ai fait un pas de géant ce soir. Grâce à toi garce de Vie. Mes larmes se transforment en un terreau fertile.
J’ai décidé de me trouver belle malgré cette petite mort que tu as placé sur ma poitrine. J’ai décidé de m’aimer envers et contre tout. J’ai décidé de porter cette poitrine fièrement avec sa disgrâce et sa non conformité. J’ai décidé de porter un regard féministe et me trouver badass.
Je me sens épuisée, vidée d’un sein mais avec un regain de foi.
Merci pour la leçon.
Je te laisse, la Vie. Tu as reçu assez d’éloges pour aujourd’hui. Mes larmes ont cessé, elles se sont transformées en mots… De mes larmes, j’en fais toujours de la petite poésie. En toute modestie, hein, je me sens déjà rougir.
Je sais que des larmes seront versées sur ces mots, demain, plus tard… parce que ces mots nous racontent tous… on est fait du même bois, n’est ce pas ? Malheureusement, on a souvent trop tendance à te prendre pour une conne, la Vie. On t’ignore, on veut, on exige…
On perd le sens… de la Vie.