Histoire parallèle

Yaëlle et y a moi – Partie 9

Toutes les semaines, Yaëlle s’est rendue au parloir de la maison d’arrêt pour y voir Elric. 45mn de visite par semaine. Deux heures de route pour 45mn de visite au parloir. Tous les samedis. 

C’est sa mère, Paulette, qui l’emmenait. Elle prenait 3h de son temps tous les samedis pour l’emmener, l’attendre, puis la ramener. Dans la voiture, elles écoutaient Cock Robin et les Cranberries. L’arrivée des CD avait stoppé l’achat des K7 et dans la voiture de Paulette, l’autoradio ne mangeait plus que ces deux K7, faute de choix, faute de nouvel achat. Si, à l’aller, Yaëlle parlait peu, sa mère respectait ses silences. Si au retour, Yaëlle revenait logorrhéique, exaltée par les échanges qu’elle avait eu avec Elric, sa mère se réjouissait de tous ses bavardages. Paulette restait discrète. Toujours. 

Quand elles se garaient place Nazareth, Yaëlle avait toujours un peu mal au ventre et la respiration courte. Le stress d’être là, de le voir. Le stress du parloir. 

Il fallait se présenter devant la grande porte en fer, sous les drapeaux de la république et attendre qu’un maton ouvre la porte. Il appelait les visites. “Famille Argenton”. Yaëlle avançait avec les autres précédemment appelés. Elle tendait sa carte d’identité, puis patientait à côté de la grille. Elle connaissait la procédure par cœur. Traverser la cour. Tourner à gauche. Ouvrir la petite porte. Attendre devant le portique. Pour les personnes qui venaient avec leur sac à main, des casiers étaient à disposition. Yaëlle n’avait que sa carte d’identité sur elle. Parfois elle apportait un sac de linge propre mais le plus souvent c’était la mère d’Elric qui s’en occupait. La plupart des visiteurs étaient des femmes. Des mères et des compagnes. Jamais Yaëlle n’a échangé avec l’une d’elles. Jamais elle ne s’est mélangée à ces autres qui sympathisaient entre elles. Le soutien, elle l’avait dehors, dans sa famille. Elle se tenait à distance des autres visiteuses. Comme pour se tenir à distance de leur misère sociale. Comme pour ne pas entrer dans leur solitude. Ne pas savoir pourquoi elles étaient là. Pour quel prisonnier ? Pour quel crime commis ? Yaëlle se sentait  différente, elle se sentait “au-dessus”. Plus chanceuse, plus distinguée. Sa situation à elle, était réversible. Une erreur de jeunesse. Tandis que pour ces femmes, l’incarcération faisait partie d’un schéma social. 

Les visiteurs passaient sous le portique, tandis que les sacs de linge étaient disposés sur le tapis roulant. Puis, Yaëlle et les autres rentraient dans le parloir et prenaient place à une table. Une petite table et deux chaises face à face. L’attente. Le silence. Quelques minutes qui semblaient s’étirer. La gorge et le ventre noués en attendant l’arrivée des prisonniers. Elric entrait, s’asseyait. Parfois, il était léger, souriant. Souvent, il était agité. 

A l’intérieur des parloirs, il n’y avait pas d’intimité. Les tables voisines étaient si proches que l’on entendait les conversations de qui parlait un peu plus fort. Ils chuchotaient plus qu’ils ne parlaient. Un maton se plaçait debout, dans un coin de la pièce et surveillait. Yaëlle voyait Elric changer de semaine en semaine. Son corps se gonflait sous l’effet de la musculation qu’il pratiquait quotidiennement. Elric changeait physiquement. Yaëlle changeait aussi. Elle s’émancipait dehors, elle s’émancipait de lui. Elric le sentait. Un mur se dressait au fil des mois mais Yaëlle restera fidèle à ses visites au parloir de mars 95 à mars 97. Deux années de visites hebdomadaires. 

Elle s’imposait d’y aller comme une mère l’aurait fait pour son fils. Par principe et pour lui, plus que par envie. Elle préférait la correspondance épistolaire. Elle écrivait tous les jours, tous les soirs. Elle écrivait de longues lettres où elle décrivait ses journées, ses émotions, ses sentiments. Elle y mettait tantôt de la légèreté, tantôt de la gravité. Elle exprimait des reproches, de la colère et des déclarations enflammées. Il y répondait avec la même énergie. La production d’écrits d’Elric était aussi prolifique. Tous les jours il lui écrivait. Il avait moins le goût de la mise en scène, il était moins enclin à la métaphore et à l’effet de style mais ses mots arrachaient bien souvent des larmes amères à Yaëlle. Ils se connaissaient depuis leur 16 ans, ces deux-là. Comment ne pas être amer quand l’histoire mène là, quelques années plus tard.

Au bout des 45 mn, le gardien posté dans le coin de la pièce notifiait la fin du parloir. Bruits de chaises, d’embrassade. Les accolades, les encouragements. Les petits “coucou” de la main, en s’éloignant. Elric repartait dans sa cellule, Yaëlle retrouvait sa mère dans la voiture.   

Retour mutique engendré par des reproches du genre “toi, tu es dehors” ou retour détendu suite à un échange apaisé. Il y avait le stress de l’aller et parfois le stress du retour. Paulette supportait tout ça. Quoiqu’il advienne, quoiqu’il en soit de bien ou de mal, Paulette était là ! Elle ne posait pas de question mais écoutait toujours sa fille avec la même attention.

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