Théâtre

Le ciel de Nantes – TNB

C’est l’histoire autobiographique de Christophe Honoré. C’est l’histoire de sa famille plus largement. Sur la scène du TNB, il a ressuscité sa famille maternelle sur trois générations. Ils sont tous morts (ou presque) mais dans cet espace temps, dans ce décor de salle de cinéma défraichie, ils reprennent vie, ils s’expriment, dansent, hurlent, chantent, pleurent, revendiquent tout ce qui n’a pas été dit de leur vivant.

C’était hier soir, le 21 février, jour les 72 ans de ma mère et c’était son cadeau d’anniversaire. On s’est laissé trimballer dans les rues de Nantes, on a fait un crochet par Rostrenen. On est revenu à Rennes, devant l’ancien cinéma Arvor à l’avant-première du tout premier film de Christophe Honoré. Non, on est restées là, bien sages sur nos sièges et pourtant on a vécu mille vies et effectivement, on a parcouru mille lieues.

C’est un portrait intime et c’est aussi le portrait d’une époque (les années 70-80) traversée par les luttes ouvrières, l’immigration, la guerre d’Algérie, la montée de l’extrême droite.

C’est le portrait de Roger, le tonton facho qui fait honte, celui de mémé Kiki qui mettra au monde 10 gosses alors qu’elle n’en voulait pas, qui rejettera son petit-fils Christophe, à l’annonce de son homosexualité. C’est le portrait de Claudie, la tante à moitié folle qui s’est suicidée par défenestration, Celui de Claude, le père de Christophe absent mais évoqué, mort lui aussi dans un accident de voiture. Puis le cousin, mort d’une overdose. Jacques, un autre oncle, mort d’un cancer des poumons… Une famille endeuillée, donc. Une famille très éprouvée.

Il est question des intersignes décrit par Anatole Le Braz… Petit moment d’exaltation pour moi quand je pense être la seule de la salle à entendre l’écho de ces mots. Ces moments de connexion durant lesquels tout s’aligne sont sans doute, ce qu’il y a de plus réjouissant dans les expériences culturelles… Et toi, maman, as-tu entendue la légende des intersignes ? On n’en a pas reparlé ensuite. Les intersignes d’Anatole Le Braz… Connaissez vous ce livre sur la légende de la mort ? Je vous en livre quelques préceptes :

Les intersignes annoncent la mort. Mais la personne à qui se manifeste l’intersigne est rarement celle que la mort menace. Si l’intersigne est aperçu le matin, c’est que l’événement annoncé doit se produire à bref délai (huit jours au plus). Si c’est le soir, l’échéance est plus lointaine ; elle peut être d’une année et même davantage. Personne ne meurt, sans que quelqu’un de ses proches, de ses amis ou de ses voisins n’en ait été prévenu par un intersigne. Les intersignes sont comme l’ombre, projetée en avant, de ce qui doit arriver. Si nous étions moins préoccupés de ce que nous faisons ou de ce qui se fait autour de nous en ce monde, nous serions au courant de presque tout ce qui se passe dans l’autre. Les personnes qui nient les intersignes en ont autant que celles qui en ont le plus. Elles les nient uniquement parce qu’elles ne savent ni les voir, ni les entendre ; peut-être aussi parce qu’elles les craignent et qu’elles ne veulent rien entendre ni rien voir de l’autre vie.

Honoré a réveillé la tragédie des morts, il a vengé les taiseux, il les a rendu beaux malgré leurs défauts, il a pansé les plaies des vivants… toujours en nous signifiant que « c’est ta vision des choses Christophe ». La vérité n’est pas la même pour tout le monde. Elle diffère selon la place que l’on occupe, elle se mue au fur et à mesure que la vie passe… C’est la famille de Christophe à travers les yeux de Christophe. Rien de plus. Et c’est ce rien de plus qui fait l’essentiel. Métamorphoser une histoire familiale en un art qui panse les plaies de chacun, qui soigne celui qui le reçoit en des endroits multiples et insoupçonnés.

Tout y était brillamment interprété par Chiara Mastroianni, Julien Honoré dans le rôle de sa mère, youssouf abi-ayad dans le rôle de Christophe Honoré, Jean-Charles Clichet et Stéphane Roger si drôles et brillants. Bref, 2h30 de joie et d’énergie folle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *