Mme J est partie, me laissant un peu de tristesse au cœur. En 2020, j’avais écrit sur elle et son mari décédé peu de temps après. Mme J en a fini de râler. Je l’aimais bien malgré les décibels qu’elle envoyait dans mes oreilles, avant le levé du soleil. Je republie ce texte en hommage à cette femme et en souvenir de ses pâtisseries marocaines.

Je la vois tous les matins depuis 1 an et elle m’amuse beaucoup, bien qu’elle râle et qu’elle « ruspète » sans cesse. Elle mesure 1M45 tout au plus et elle aboie plus qu’elle ne parle. Elle termine toutes ses phrases par « inch’Allah » et positionne ses mains en prière. C’est Mme J. On vient soigner son mari depuis des mois. Depuis que le cancer s’est immiscé dans ses poumons. La maladie a eu raison de sa gouaille et de sa colère. Il est encore enclin à faire quelques vacheries à sa femme mais si le cœur y est encore, la force l’abandonne. Elle a due en baver, Mme J, avec cet homme violent. Elle en a pris des coups, des pics, des insultes et des revers. Elle a due l’implorer son Allah. Aujourd’hui elle a le dessus. Ou presque. Quand il veut l’emmerder, il trouve encore quelques idées, comme renverser son bol de café sur la télé. Alors elle gueule, elle braille. Elle fait des grands gestes, lève les mains au ciel et implore son Dieu.
« NôNô ! (elle n’arrive pas à retenir mon prénom) Tu sais pas c’qu’il a fait le papi, inch’Allah ? J’ti jure il va me rendre folle, il a pissé sur le balcon. Oh ! Inch’Allah, ji vais ti mettre en MAISON DI RITRAITE. C’est tout c’que ti mérites inch’Allah. Ji l’ai ruspété, NôNô, tu me crois Inch’Allah ? Et après t’as vu son oeil ? Ji vais chercher la serpillière et ji pousse la porte colère, ji pousse fort et le papi était derrière. T’as vu son oeil inch’Allah? Oh ! Il est tout au beurre noir, t’as vu ? Oh je vais devenir folle. T’entends, toi ? Papi ? Inch’Allah ? » et elle finit par débiter un arabe logorrhéique.
Mme J, elle est drôle malgré sa peine. Quand elle arrive à la pharmacie, elle fait son show et elle adore être la vedette.
Comme tout musulman qui se respecte, Mme J a fait le ramadan. Et comme toute bonne marocaine qui se respecte, elle a confectionné des tas de pâtisseries marocaines pour la fête de l’Aïd. Chaque fois qu’elle cuisine des gâteaux, elle nous en met de côté parce qu’elle sait qu’on est gourmande, moi et ma collègue.
Moi, mon plaisir marocain, c’est le croissant de lune blanc. La corne de Gazelle. J’en suis fane. Je ne sais pas si elle « ruspète » toujours quand elle cuisine ou si ce temps là, elle est toute à sa tâche. Un temps suspendu peut-être. Un répit. Une pause dans son quotidien et sur les images de son passé difficile. Je l’aime bien Mme J… et ses cornes de gazelle, je les aime aussi.
Adieu Mme J ♥