Histoire parallèle

Yaëlle et y a moi – Partie 6

Du lycée à la MJM 

Depuis la rencontre avec Elric, Yaëlle déserte encore plus le lycée. Elle revient en stop, fait l’école buissonnière, signe les évaluations à la place de sa mère… elle décroche pour de bon. En juin, le couperet tombe, Yaëlle se fait renvoyer du lycée.

C’est alors qu’à la rentrée suivante, elle débarque à Rennes à l’âge de 17 ans. Yaëlle intègre une école privée et donc chère. Une école pour gosses de riche en perte de repères. Une école pour artistes en devenir, admettons… Une école de privilégiés, c’est certain. Yaëlle sent un vent de liberté souffler dans ses cheveux longs. Elle se sent tellement privilégiée. Un privilège de fille unique. Un privilège d’enfant à qui l’on ne dit pas non. A qui l’on cède, pour qui l’on concède tout ou presque. Malgré un échec scolaire cuisant, un travail personnel nul, des absences en cours répétées, des tricheries non dissimulées. A Yaëlle, sa mère lui paiera une école privée pour enfants de riches. Une école qu’elle ne pourra payer sans souscrire à des prêts bancaires. Paulette ira au bout des possibilités. Là où la majorité des parents ne seraient jamais allés. Paulette mettra la main à la poche. Paulette, un genre de mère peu ordinaire. Une mère qui ne mettra jamais d’ultimatum à sa fille. Jamais par exemple, Paulette n’a tenté avant l’échec du lycée, de raisonner Yaëlle, de l’inciter à travailler. Jamais. Paulette s’excusait depuis toujours de ne pas avoir donné un père digne de ce nom à sa fille. Paulette ne pouvait pas exiger de Yaëlle alors qu’elle se sentait coupable de tout. 

En ce début d’année scolaire, Yaëlle se balade dans les rues de Rennes, alors que Po, Anna et les autres passent leur journée au lycée. Yaëlle apprend le dessin, le graphisme, le croquis, la perspective, l’histoire de l’art, la sculpture… Elle se fait rapidement plein de potes : Renaud, Ségolène, François, Myriam, Nadège. Ils sont tous en année préparatoire de dessin. Certains sont véritablement talentueux, la plupart ne le sont pas. Certains sont là parce que la scolarité ne voulait plus d’eux. La plupart n’ont pas le bac. Renaud, François, Nadège et Yaëlle étaient de ceux qui se trouvaient là presque par hasard. Parce que le lycée les avait rejetés, ou alors c’est eux qui avaient rejeté le lycée. Parce qu’ils étaient sans but et sans envie précise. Parce que leurs parents les mettaient là pour éviter leur déchéance.

Au foyer des jeunes travailleurs dans lequel Yaëlle occupera une chambre durant sa première année, elle partagera beaucoup de temps avec Ségolène. Ségo a un vrai talent pour le dessin et elle aide Yaëlle à améliorer son trait lourd et débutant. Ségo vient du milieu forain. Elle a les yeux noirs, le teint mate et la voix grave. Elle a souvent envie de “marave”. On sentait dans ses propos, la culture du combat. Yaëlle qui, à cette époque, tenait une expression douteuse de sa cousine Sidonie (expression devenue tic de langage aux allures de racisme ordinaire. Expression raciste, disons-le, qu’elle proférait par habitude, de façon idiote et machinale.) Yaëlle le disait aussi souvent que Sego disait “marave”. Yaëlle proférait des “Sale foraine” à tout va, pour un oui ou pour un non. L’expression se déclinait au masculin et au pluriel. En faisant la connaissance de Ségolène la foraine, Yaëlle réprimait l’injure. Elle qui disait qu’il n’ y avait pas d’insulte dans cette expression potache, elle réfrénait ses ardeurs de crainte de se faire marave pour de bon. Malgré tous ses efforts, le coup est parti. Ségo ne s’est offusqué de rien. Quand Yaëlle a raconté tout ça à Sido, elles se sont esclaffées comme des baleines. 

Pour la première fois de sa vie, Yaëlle aime aller en cours. Elle aime ce qu’elle fait. Elle apprend, se concentre, fait de son mieux. Tout le travail qu’elle fournit ne lui demande que peu d’effort, tout au moins, aucun sacrifice. Elle est bien. Elle apprécie les profs. Elle se sent intégrée à une nouvelle bande d’amis. Ses rencontres sont éclectiques. Pour la première fois de sa vie, elle rencontre des gens différents, atypiques, singuliers. Elle rencontre Nawel. 

Nawel était une jeune femme de vingt-deux ans. Elle faisait le ménage dans cette école de riches. Elle promenait balaie et serpillière tandis que les élèves fumaient dans le joli jardin privatif de cet ancien hôtel particulier. Nawel nettoyait les salles de classes, le laboratoire photo, les bureaux… Mais Nawel avait une autre activité au sein de cette école. Elle posait. Elle posait son corps nu, sous les yeux ébahis de tous les apprentis dessinateurs. Elle venait là, devant eux entre deux coups de balai, et prenait la pose du modèle avec une grâce qui bouleversait Yaëlle. Elle restait statique pendant des heures, tandis que la classe scrutait les moindres détails de son corps. Totalement dévêtue, le corps endolori par la position tenue trop longtemps. Elle était belle et gracieuse dans ses poses. Bras en l’air, main délicate, port de tête parfait. Yaëlle la trouvait belle, féminine et libre. Elle l’enviait pour son assurance, elle l’enviait de se mettre à poil devant une classe de 20 élèves. Elle enviait son culot. 

Nawell et Yaëlle partageaient des cigarettes. L’une sortant de son cours, l’autre sortant des chiottes qu’elle venait de nettoyer. Yaëlle regardait Nawell comme une sorte de modèle de lutte de classe. 

Durant cette année, elle se rapproche de Renaud. Le soir, il est serveur au Scopitone, place Ste Anne. Ce bar deviendra vite leur lieu de ralliement. La contrebasse du psychobilly en deviendra le son.

Yaëlle aime ces nuits rennaises. Elle appartient à une nouvelle communauté en dehors du couple qu’elle forme avec Elric. Elle retrouve une existence en dehors de lui. Un espace de liberté qu’elle apprécie. Elric se sent plus isolé, il s’inquiète. Il ne tardera pas à intégrer la même école que Yaëlle. L’année suivante, alors que Yaëlle rentrera en première année de photographie, Elric prendra sa place en année préparatoire. Yaëlle en sera contrariée mais elle dira le contraire. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *