
À mesure que mon enfance se dépeuple; que les visages qui ont fait de cette partie de ma vie un lieu sécure s’éteignent pour l’éternité, j’ai peur d’oublier vos voix, vos intonations, vos visages, vos sourires.
Mes pensées se brouillent, je cherche au fond de ma mémoire des bribes de toi.
J’ai 3 ans, tu m’apprends à descendre le manche du tourne-disque sur le vinyle, doucement sans le rayer. C’est une opération délicate que tu me confies là… ta façon à toi de “prendre un enfant par la main”. Chanson qu’entonne Yves Duteil au contact du saphir sur le vinyle. Impossible d’entendre “le petit pont de bois” sans penser à toi.
Je sollicite ma mémoire encore, je creuse.
J’ai 6 ou 7 ans, ton lit sort par la fenêtre de l’étage parce que tu quittes le domicile parental. Tu pars t’installer ailleurs et je suis la seule à être triste. Je me vois encore, assise dans l’herbe et je fais la gueule.
J’ai 7 ans, 8 ans, 9 ans, 10 ans… parfois tu m’emmènes à l’école. Odeur de peinture, de térébenthine. Odeur de mon enfance, white-spirit et autres produits pétroliers. Je ne me souviens pas des discussions dans la voiture mais on rit, c’est toujours joyeux avec toi. T’es jamais relou avec des questions gênantes, jamais embarrassant.
Je cherche à exhumer d’autres moments. Je suis au collège, je te dis que tu as des airs d’Alain Souchon (rapport à la mise en plis et à tes yeux marrons) ce à quoi tu me réponds toujours : “oui mais en plus beau !” Et comme j’aime les synchronicités, j’y ai vu un peu de magie quand Alain Souchon a surgit sur mon écran de téléphone à l’heure où tu t’éteignais et qu’il m’apprenait à cet instant qu’il avait débuté sa carrière professionnelle non pas comme chanteur mais en tant que peintre en bâtiment. Je vous le dis, les synchronicités, c’est le sel de la vie.
Noël 92, j’ai 15 ans. Tu m’offres mon premier CD “du ciment sous les plaines” de Noir Désir et on chante ensemble “Always lost in the sea” juste le temps du refrain… ce qui te plaît dans cette chanson, c’est l’harmonica.
J’ai 16 ans, avec Tiphaine on commence à fumer des clopes en cachette. Tu nous démasques, prises en faute, on écrase la cigarette allumée, on jette le paquet de Lucky strike beaucoup trop loin. On est dépitées. A partir de ce moment-là, on se méfiera de toi et de ton radar à repérer nos transgressions.
Mars 97, j’ai 20 ans et ce n’est clairement pas la meilleure période de ma vie. Tu m’emmènes à Vannes. Je ne m’épanche pas sur l’événement, ceux qui savent, savent. C’est dans tes bras que je m’effondre. Je ne t’ai jamais dit merci. J’ai besoin de te le dire maintenant : Merci pour ça.
En 2024, on s’est vu plus souvent que sur les 10 dernières années. On a parlé de tout : politique, écologie. On a parlé des paysages si beaux qu’ils font pleurer. On a parlé de la maladie, de notre passage sur terre, de notre vulnérabilité. On s’est dit que c’était pas si grave de mourir, que d’ailleurs le contrat est clair depuis le départ. Tu m’as dit que le cancer gagnerait peut-être… je t’ai dit que ce combat n’était pas à armes égales et que le lexique belliqueux de la lutte et du courage est bien trop culpabilisateur.
Tu fais comme tu peux, t’ai-je dit, avec l’énergie que tu peux déployer ou pas… c’est pas la guerre, ça s’appelle la vie.
Et comme à l’issue de chaque vie, la mort a triomphé. Et tu n’en es pas responsable.
Merci mon tonton Nono pour ces moments vrais et sans filtre que tu as partagé avec moi à la toute fin de ta vie. Merci pour ta présence chaleureuse durant toute mon enfance.
Je te garde au chaud dans mon petit cœur de guimauve.
Embrasse mes grands-parents adorés.
Et n’oublie pas de m’envoyer des signes et des synchronicités.
Bon courage ma nono dans cette épreuve. Tu étais si mims 💚