Visites

Ci-gît une incorruptible.

Sa tombe est recouverte de lierre de Perse, si dense en ce début de printemps, que l’on ne distingue même plus sa croix. Les sacs emplis de terre pendent aux branches, quelques offrandes au pied de la tombe : Vierge, médaille, ex-voto. Il s’agit de la sépulture de Dame Philippe-Hélène de Coëtlogon dite marquise de Coëtlogon, pieuse rennaise morte en 1677 et enterrée dans la chapelle du couvent des Carmes, puis, oubliée là durant 120 ans. C’est lors de la démolition du bâtiment en 1798 qu’elle fut inhumée et que sa dépouille fut retrouvée intacte. Une propriété que l’on appelle l’incorruptibilité et que l’on retrouve chez un certain nombre de saints tels que Padre Pio et Bernadette Soubirous. De quoi en faire une sainte à son tour.

Transportée au cimetière du Nord, elle donna lieu à une tradition qui perdure encore aujourd’hui : On prélevait de la terre au pied de la tombe pour l’emporter pieusement et la porter neuf jours dans un pochon de toile. On rapportait ensuite le pochon à la dame et le miracle était censé advenir. La bien nommée sainte aux pochons intercédant en faveur des prières pour décrocher la guérison du malade.

Au cimetière du Nord, comme dans tous les cimetières du monde probablement, de pieux et bons défunts aux sépultures honorées côtoient de vils et infâmes dépouilles gisant dans la fosse commune, invisibles pour mieux les laisser dans l’oubli. Je pense à la Jegado, la plus grande meurtrière de tous les temps qui gît parmi les os du charnier. Comment mes grands-parents cohabitent-ils avec ces âmes divines et damnées. Si le paradis existe alors ils y sont avec la dame aux pochons, c’est sûr. J’imagine ma Denise en admiration devant une telle sainte, et mon René un peu dubitatif trouvant toute cette bondieuserie un peu suspecte.

C’était la visite guidée du cimetière du Nord et son lot de personnages illustres (en plus de la sainte aux pochons) : Le Chanoine Brune, Martenot l’architecte, Barré le sculpteur, Regnault le bâtisseur d’églises, Leperdit le Maire qui s’opposa à Jean-Baptiste Carrier, Bénigne de Châteaubriant la sœur de François-René le très vénéré, la famille Odorico les mosaïstes, la famille Bessec les chausseurs Rennais et Malouin, Faustino Malagutti le célèbre chimiste qui a autopsié la dépouille d’Hélène Jegado ainsi que ses victimes rennaises…

Bref, c’était un charmant moment dans les allées du plus romantique cimetière rennais, où la nature reprend ses droits entre les tombes, où la vie sauvage reprends possession des lieux depuis l’absence des produits phytosanitaires… Alléluia, vive les mauvaises herbes.

C’était un dimanche au ciel azur avec pouillette qui entendait dur et peinait sous la chaleur, Brigitte qui semblait ravie d’être là, un guide bavard et passionné, des visiteurs silencieux et assidus. Simple, plaisant, éclairant, efficace.

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