“L’Accident” est avant tout un hommage plein de grâce. Une ode à l’enfance, simple mais dotée d’un pouvoir insoupçonné. Celui de balayer le mal à la nuit tombée pour mieux affronter l’épreuve des jours dans les geôles libanaises du Hezbollah. Un antidote au malheur qui opérera 1000 nuits dans un processus inconscient et enchanté.
C’est un livre doux qui apaise par ce qu’il raconte de la vie simple, de l’ennui qui étire le temps et le rend apaisant. Il s’agit d’une lecture sensorielle accompagnée de l’odeur du pain, de l’église, de l’encens, au son du glas et de son tintement lent. Le clocher de l’église de Corps-Nuds au style néo-byzantin prenait forme dans mon esprit, au fur et à mesure de ma lecture, le bulbe prenait vie, aidé par tous les sens aiguisés par les mots de l’auteur.
Dans ces pages qui décrivent une enfance qui n’a, à priori, rien à voir avec la mienne, j’ai été cueillie par l’écho de mes souvenirs : Le temps long de l’ennui que je chéris rétrospectivement, la messe du dimanche et ma lecture hebdomadaire sous le regard fier de ma grand-mère, les cérémonies religieuses théâtrales, mon goût douteux pour les enterrements, la mort, le tintement funèbre du glas, la perte de ma chienne et mes sanglots en demandant « pourquoi ? » alors que moi aussi je voulais dire « comment ? » parce qu’à travers les générations, l’enfant confond la cause et les circonstances (p258).
Il s’agit surtout d’un accident qui donne le titre au livre et qui le traverse en 6 chapitres. La tragédie des cornusiens endeuillés par la perte de dix-huit footballeurs le 2 janvier 1949. Accident habillé d’un silence de plomb. Il est question d’un personnage contestable aux idées maurrassiennes : l’Abbé Brionne que l’on ne parvient pas à détester grâce à une plume bienveillante.
J’ai eu le plaisir de croiser Marie-Geneviève, sa sœur, au cours de ma lecture. On a, jadis, partagé une semaine de vacances dans les Cévennes. J’en garde un souvenir léger et joyeux, à son image. Marie-Geneviève, la cascadeuse équestre qui fera don à mon beau-père d’un fauteuil nommé « le fauteuil Mitterrand » qui habille l’écurie depuis deux décennies. Fauteuil qui appartenait aux parents Kauffmann et dans lequel François Mitterrand s’est assis lors de sa visite à Corps-Nuds en 1985.
Jean-Paul Kauffmann présente ce livre comme un livre de gratitude. En effet, elle traverse chaque page. Sa reconnaissance (p14) de faire partie de la génération élue qui a joui d’avantages disparus à jamais m’a obligé à corner la page et stabiloter le passage parce que je trouve cette analyse trop rare chez les plus de 70 ans qui oublient trop souvent qu‘ils n’en sont pas à l’origine, mais que d’autres l’ont mis en mouvement et qu’ils en ont profité. JPK appartient à la génération des « 4 P » pour Paix, Prospérité, Plein-emploi, Progrès qui caractérisent selon l’historien Jean-François Sirinelli la période dans laquelle ont grandi les baby-boomers. Les trente glorieuses et les conditions économiques exceptionnelles dont ils ont profité sont réelles. A eux, à nous, maintenant de nous battre pour l’avenir de nos enfants qui n’auront pas ce luxe. A nous de faire gagner la paix, la justice sociale plutôt que le fascisme et la haine. A nous de nous battre pour leur laisser une planète viable. Ne jouissons pas impudemment de nos privilèges, effrontément de nos postures de puissants.
Merci pour ces mots et tous les autres, chacun d’entre eux qui parsèment cet hommage vibrant. Merci de m’avoir permis de revisiter mon enfance dans les années 80 dans le Morbihan au travers de votre enfance dans les années 50 en Ille-et-Vilaine. Merci de m’avoir permis de créer un pont avec ce patient mutique aux tendances suicidaires qui a réagit à l’évocation de l’accident du pont de la forge, lui qui était âgé d’une dizaine d’années et qui habitait Martigné-Ferchaud en 1949. Le souvenir n’est pas joyeux mais il était heureux qu’un lien se crée entre lui et moi, et cela grâce à vous, Mr Kauffmann. MERCI ♥
