JEMP : Prison Jacques Cartier

D’abord il y eut cette chape de plomb qui s’est abattue sur moi. Une pesanteur. Un air dense. Un espace exiguë. Ou bien trop grand. Enfin je ne sais plus. Il faudrait retourner voir. Tout semblait se recroqueviller sur moi. Les murs m’avalaient.

On était nombreux, les curieux. Des centaines à se presser par la petite porte. Les familles avec enfants, les joyeux au cœur allant, les taiseux contemplant les cellules, graffitis ornant les murs.

Et parmi cette foule hybride, il y avait moi. Moi sous le poids de l’air, compressée dans cet espace fermé. Moi tout près des autres que je voulais si loin. Moi cherchant à fuir les ricanements, les blagues potaches. Moi qui peinait à respirer l’air trop lourd. Moi qui revisitait des lieux enfouis par le temps. Des ruines du passé.

Le site est vidé des corps mais les âmes damnées tournoient au dessus de nos têtes. Les détenus de tout temps mais aussi les juifs, les résistants, les femmes… ceux qui prendront le train de langeais, qui finiront déportés. Ceux torturés par la Gestapo dans les sous-sol de la prison, ceux trahis par la France de Vichy. Puis, les âmes damnées des collabos… Tous flottent. Fantômes coincés là pour l’éternité.

C’était extrêmement émouvant d’être là. Je me suis demandée comment j’allais reprendre ma tournée après tant de chamboulement. Comment j’allais repartir dans le monde des vivants après cette heure parmi les ectoplasmes.

Si j’étais écrivaine (imaginons) et que les éditions stock me proposaient de passer une nuit seule dans un lieu pour y accoucher d’un livre (imaginons fort steuplait), comme l’ont fait Lola Lafon dans la maison d’Anne Franck, Leila Slimani dans les collections Pinault à Venise, ou encore Lydie Salvayre au musée Picasso et tant d’autres, et bien moi, je resterais là avec les bourreaux, les victimes, les valeureux, les suicidés et torturés. Parce que je suis complètement barrée en vrai !