Les moments doux, Théâtre, Visites

Paris solo

Avant je n’aurais pas osé. Je n’aurais même pas aimé, je crois. J’aurais eu peur de la solitude, de l’ennui. Je n’aurais vu aucun intérêt d’y aller seule.

Mais voilà, il y avait l’exposition sur les zombis au musée du Quai Branly. Elle s’achevait le 16 février et il y avait donc urgence à m’y rendre. Fantig était partante pour me suivre, mais assignation à résidence lui fut sommée. Impossible de louper ça. Seule valait tellement mieux que pas.

Alors j’ai profité de la chambre d’hôtel du Toinou qui passait la semaine là-bas, dans les quartiers chics du 16è. Là où les collégiens arrivent en benz vitres teintées avec chauffeur. C’était le sommet de l’IA et le gros boss d’Antoine allait à l’Élysée, et ses collègues causaient de choses inintelligibles pour le commun des mortels devant des gens riches et puissants (et donc… dangereux). Et moi je me lamentais qu’ils squattent tous le Grand Palais m’empêchant de voir l’expo de Chiharu Shiota et ses 40km de fils.

Tout a commencé par un train en retard. Mon timing était serré car j’avais réservé ma première visite aux catacombes où il n’y a ni remboursement, ni différé possible. Mais j’étais dans les temps, même un peu en avance. Mes pérégrinations ont donc débuté du côté de Denfert-Rochereau, à 20mn à pieds de Montparnasse. D’abord, 131 marches à descendre, puis de longs couloirs très peu éclairés. Des visiteurs très loin devant et très loin derrière. L’impression d’être seule, le sourire étiré jusqu’aux oreilles dans le plus grand ossuaire du monde, à 20M sous terre.

« ARRÊTE ! C’EST ICI L’EMPIRE DE LA MORT » nous prévient le linteau à l’entrée de l’ossuaire. Et j’aime à cet instant le frisson qui parcourt mon échine.

Et ils sont là, partout les crânes brillants et les tibias ternes. La Tour Eiffel a disparu, ainsi que l’Arc de Triomphe, jadis sculptés méticuleusement de ces divers os humains parce qu’ils avaient le goût du travail bien fait les gars. C’est Héricart de Thury (ingénieur des mines) qui a souhaité ces installations pour qu’elles soient « dignes de la vénération publique ».

J’étais excitée comme un pou au salon du cheveu. Plus de 6 millions de parisiens rangés là méthodiquement : rangées de fémur, de crânes et de tibias. Parmi eux des millions d’anonymes et quelques personnages connus mais mal reconnus en leur temps tels que Molière et De la Fontaine (mais pourquoi donc leur tombe au Père-Lachaise me direz-vous ? Et bien c’est pas clair !).

Un peu d’histoire : À la fin du XVIIIème siècle, Paris est confronté à de graves problèmes d’insalubrité liés aux cimetières de la ville, surpeuplés. Les riverains étaient de plus en plus incommodés par les odeurs putrides qui en émanaient. Il faudra attendre l’effondrement de la cave d’un restaurant sous la poussée des os d’une fosse commune en 1780 pour que soit enfin décidée sa fermeture sous le règne de Louis XVI. L’exhumation des ossements du cimetière des innocents commencent en 1785. Un rite religieux scrupuleux est respecté : des chars funéraires couverts de catafalques noirs se rendent au crépuscule au puits de service des carrières de la Tombe-Issoire afin d’y déverser leur chargement. Ils sont précédés de chœurs de religieux portant la lanterne des morts, accompagnés de porteurs de torches et suivis de prêtres chantant l’office des morts (ça devait être mortel !). Ce fut tellement un succès que les autres cimetières suivirent le même protocole.

J’ai décidé que ce crâne était celui de Robespierre. Flagrant, non ?

Puis, avant la remontée des marches, la « crypte » ou « rotonde des tibias ». Le 2 avril 1897, un concert nocturne est organisé ici, entre minuit et deux heures du matin. Relayé dans la presse, il aurait accueilli plus d’une centaine de participants, venus écouter entre autres la Marche funèbre de Chopin. Déjà à cette époque, le lieu fascine les Parisiens en quête de sensations fortes.

Après une heure de déambulation parmi ces restes humains qui pousse à l’humilité, je suis remontée dans le monde des vivants et j’ai marché une bonne heure et mon Dieu ce que la rue St jacques, au sol jonché de coquilles est longue. Elle traverse le quartier latin et mène jusqu’à la seine. Le Val de Grâce, la Sorbonne, le collège de France, un peu plus loin le Panthéon. Je quitte le chemin de Compostelle et traverse l’ile de la cité, Notre Dame sur ma droite, la Sainte Chapelle à gauche. Passage rive droite, je passe devant le centre Pompidou puis débouche Quartier Strasbourg-St Denis. C’est là ma destination, je me pose au café du théâtre de la renaissance et j’attends patiemment l’heure de l’Injuste avec Jacques Weber. Je me dis que j’ai de la chance…

Weber est François Genoud, le banquier d’Hitler. (Ah bah oui, vous pensiez que j’aimais les histoires légères ?) La pièce se déroule dans le bunker de Genoud en 1993, au moment des accords d’Oslo. Face à lui une journaliste israélienne campée par Élodie Navarre. Forcément, ça fait pas mal écho à l’actualité, ça donne les poils, l’interprétation est parfaite et ça donne envie de lire un livre sur ce fan d’Hitler (la légèreté, toujours)

Juste après se jouait la dernière pièce de Michalik et le choix entre les 2 pièces n’a pas été simple, c’est l’horaire qui m’a fait trancher parce que bon, prendre le métro après 23h toute seule, bof ! Mais c’était sans compter sur le Toinou qui était dans une salle d’escalade à 5mn de moi (c’est beau♥). J’ai donc rejoint les data scientist et data engineer de l’IA (oui) et on a bu de la bière.

Le lendemain matin, j’ai larvé un peu au lit avec mon livre. Une petite lecture légère après les morts et les fachos (non) : « Si c’est un homme » de Primo Levi. Définitivement, j’aime trop le macabre. Livre magnifique au demeurant.

Puis, à 20mn de l’hôtel, le tant attendu musée du Quai Branly Jacques Chirac pour l’expo : « Zombis. La mort n’est pas une fin ? » Je suis à cette heure toujours excitée comme un acarien au salon de la moquette. Je m’empare du casque et le visse sur les oreilles et me dirige sans plus attendre tout là-haut dans le monde fascinant de la zombification. C’est ce cher Philippe Charlier et sa voix pénétrante qui m’a causé dans les oreilles. Il m’a expliqué ce qu’est un péristyle, ce que sont les loas, qui sont les bokors. Il m’a parlé de Baron Samedi, de grande Brigitte, de Clairvius Narcisse qui a été zombifié pendant 18 ans. C’était extra ! En vrai c’était mieux que ça.

Ci-dessous, la photo ratée du zombi travaillant dans un champ de l’Artibonite. C’est Philippe Charlier qui prend en rafale près de 100 clichés de ce zombi vu depuis la route, mais au tirage : rien que le champ, les montagnes mais pas l’ombre d’un zombi. C’est parce que photographier un zombi sous influence (sous les ordres de son bokor) est parait-il chose impossible. Ça trou le cul non ?

En sortant de là, je me dis que j’ai vu ce que je voulais et que le reste serait du bonus. Je longe les quais de seine un peu, je projette de faire le musée d’histoire de la médecine qui n’est pas très loin de la gare, mais il me reste pas mal de temps avant le train alors après un déjeuner en brasserie comme si j’étais en vitrine (et un serveur charmant qui m’a filé des spéculos pour mon gouter) je me dirige vers le musée Rodin.

Il y avait une expo temporaire consacrée à la robe de chambre de Balzac « Corps in-visibles » et ça résonnait fort car j’avais effectué (il y a près de 30 ans, OMG) un travail autour de cette fameuse robe de chambre qui a donné tant de fil à retordre à ce pauvre Rodin, sans parler de Balzac lui-même qui était si gras et disgracieux.

Dernière ligne droite avant le TGV, trouver le musée d’histoire de la médecine que j’ai cherché longtemps. Il se trouve au 3ème étage de l’université René Descartes derrière les échafaudages, masquant les indications et brouillant les pistes ce qui m’a fait tourner en rond un certain temps. Mais enfin, c’est en lisant les commentaires que j’ai été aiguillée et ai pu pénétrer ce lieu incroyable pour la modique somme de 3.50€.

L’énorme tableau de Charcot en arrivant au 3ème étage (ça m’a donné envie de re-regarder « Augustine » avec Soko)

Et le beautiful musée et ses outillages redoutables… Le sondage urinaire chez l’homme devait être un délice, autant que la fibroscopie ou l’examen gynécologique.

C’est l’heure de rentrer au bercail. Tout juste le temps de prendre un café au troquet et manger les spéculos du monsieur. J’ai adoré être seule, vraiment plus que je ne l’aurais pensé. D’abord, les gens discutent plus. Je n’ai jamais autant d’interaction quand je suis accompagnée et ça c’est une chouette expérience. En plus, j’étais hyper attentive à tout ce qui m’entourait. Surtout, je trouve que je m’entends assez bien avec moi-même, zéro conflit interne, osmose parfaite. Je me dis merci pour ça !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *